L'eau qui dort a été rebaptisé Sous l'eau qui dort - un autre auteur avait eu la même idée que moi... avant moi ^^.
Il sortira début 2013 (c'est bientôt ! J'ai hâte - *trépigne*) dans une nouvelle collection de L'école des loisirs qui s'appelle "Romans".
Apparemment, c'est une collection destinée à un public plus âgé que leurs collections habituelles. Je suis presque un auteur adulte, je vais pouvoir crâner dans les salons du livre !
En attendant cette publication je travaille d'arrache-pied (si, si, je vous jure) sur Alice Crane, qui succède à Edencity.
Oui, je sais, ce n'est pas trop tôt, mais il a fallu du temps pour trouver une façon de continuer la série alors qu'elle appartient toujours à l'éditeur initial.
Bref, j'en suis à plus de 200 pages, donc je pense qu'on a dépassé la première moitié. Je vais essayer de finir tout ça rapidement pour pouvoir enfin mettre mon séjour au Japon à profit. Je prends des tonnes de notes sur tout ce que je vois et j'ai déjà prévu d'écrire plusieurs romans qui se déroulent ici, mais entre la catastrophe informatique qui m'a bloquée cinq semaines sans ordinateur (ne partez pas au Japon avec un Samsung, les japonais ne les réparent pas !) et les corrections à faire sur les trois romans à paraître l'année prochaine il est difficile de trouver cinq minutes pour écrire deux lignes.
Voilà, et maintenant je vais faire mes bagages pour un week-end à Kyôto.
Pas d'inquiétude, j'emporte un crayon et un carnet !
Réflexions sur le fantastique, la vie d'auteur, le Japon et Bram Stoker sait quoi encore...
vendredi 16 novembre 2012
vendredi 2 novembre 2012
Edencity (chapitre 1)
Chapitre 1
- Disparu ? Qu’est-ce que vous voulez dire exactement par "disparu" ?
L’homme qui s’était présenté comme l’inspecteur Johnston me lança un regard scrutateur avant d’examiner la carte d’identité posée devant lui sur la table en Formica.
Ma carte d’identité.
Malgré sa chevelure courte complètement grise et les rides d’expression qui semblaient indiquer une tendance à froncer les sourcils, l’inspecteur Johnston n’avait de toute évidence pas plus d’une quarantaine d’années. Et à la posture inconsciemment crispée de son corps sec, j’aurais dit qu’un certain nombre de ces années avaient été plutôt stressantes.
Je remarquai que les rides au coin des yeux se prononçaient davantage quand il lisait. Ou peut-être que quelque chose ne lui plaisait pas dans ma carte d’identité.
J’humectai mes lèvres sèches et je m’éclaircis la gorge avant de parler. Le bourdonnement sourd et familier du réfrigérateur de la morgue me paraissait tout à coup assourdissant.
- Je suis allée déjeuner. Et quand je suis revenue... il n’était plus là.
L’inspecteur Johnston hocha la tête sans lever les yeux. Je gardai mon attention fixée sur lui pour éviter de regarder le policier roux qui se balançait sur sa chaise à sa gauche. J’avais évité de le regarder dès son arrivée pour ne pas avoir l’air de le dévisager, mais je gardai un souvenir précis de la cicatrice qui barrait la moitié droite de son visage de la tempe jusqu’au menton. Elle était flanquée de deux cicatrices plus courtes dont l’une déformait curieusement sa bouche, comme si un oiseau de proie avait essayé de lui ouvrir le visage d’un coup de serre acérée.
L’idée me vint que, s’il avait été mort, j’aurais été tentée d’examiner cette blessure de plus près. Elle paraissait ancienne. Un accident de voiture, peut-être ?
L’inspecteur Johnston m’observa un instant de ses yeux gris. Je savais qu’il me comparait à la photographie. Ils faisaient tous ça, la première fois. Ma carte d’identité ne contenait que peu d’informations. Rien d’extraordinaire. Une taille et un poids moyen, la couleur bleue de mes yeux, l’absence de signe distinctif, mon adresse… et mon âge, bien sûr.
Le deuxième policier que Johnston avait amené avec lui entra dans la morgue d’un pas assuré. L’agent Flynn, me souvins-je. Il était allé interroger d’autres membres du personnel de l’Hôpital Général. Il secoua la tête négativement en direction de l’inspecteur et il se dirigea vers les dossiers empilés sur mon bureau. Je resserrai ma blouse blanche autour de moi et je ne pus réprimer une grimace alors qu’il commençait à fouiller dans mes papiers et à les reposer en désordre sur la table. Le roux balafré avait déjà mis de la poudre argentée partout pour essayer de relever des empreintes.
Le Dr Fritz avait horreur du désordre.
Je fermai brièvement les paupières. C’était un cauchemar. J’allais bientôt me réveiller. Je pinçai discrètement la chair de mon bras. Mais la douleur était toujours présente, comme les huit fois précédentes.
Comment avais-je pu me mettre dans une situation pareille alors que je ne travaillais ici que depuis deux mois ?
- Vingt-deux ans ? demanda enfin l’inspecteur Johnston, brisant le silence qui s’était installé.
- Moi ? Oui.
Je n’étais pas surprise par l’inflexion incrédule de sa voix. Cette réaction m’était familière.
L’agent Flynn, qui était passé au bureau du Dr Fritz, s’arrêta pour nous écouter.
- Médecin légiste à vingt-deux ans ? dit-il.
Je hochai patiemment la tête.
- J’ai obtenu mon diplôme il y a cinq mois, précisai-je.
- Vous êtes un genre de génie, alors ? demanda Johnston, curieux.
Mal à l’aise, je haussai les épaules. Un genre de génie, c’était ce que la plupart des gens disaient. Mais je ne m’étais jamais sentie vraiment proche du portrait fait de ces gens dans les livres ou à la télévision.
J’avais fini mes études rapidement, voilà tout.
L’agent Johnston hocha la tête. Il nota quelque chose dans un carnet à spirale, puis se mit à taper un rythme infernal du bout de son stylo-bille sur la table autour de laquelle lui, moi et le roux balafré étions installés. Je respirai à fond pour éviter de lui faire une remarque et je tournai la tête vers le chariot métallique qui trônait au milieu de la salle d’autopsie. Le chariot sur lequel le corps aurait dû se trouver.
- Le dossier du cadavre a disparu aussi, dis-je, pour revenir à l’affaire qui nous occupait. Il n’avait pas encore été identifié.
Ma voix trembla un peu. Pourquoi fallait-il que cela arrive le jour où le Dr Fritz était à une conférence ? Le premier jour où j’étais responsable du service ?
- Vous l’avez juste laissé en plan pour aller casser la croûte ? demanda le roux balafré.
Il éclata de rire.
- Les génies, c’est plus ce que c’était, hein ?
- Mais... oui, répondis-je, soudain exaspérée. Il ne risquait pas de s’enfuir !
- La preuve que si, intervint l’agent Flynn.
Il dérangeait à présent tous les instruments posés sur le chariot.
Il m’adressa un sourire emprunt d’autant d’amusement que de compassion qui fit monter des larmes de frustration à mes yeux. Même l’inspecteur Johnston paraissait trouver tout ça drôle. Je pinçai les lèvres et j’essuyai discrètement mes yeux avant que les policiers ne remarquent ma détresse.
- C’était un cadavre ! Je ne suis encore qu’assistante et je n’ai pas le droit de faire d’autopsie sans supervision. Comme je vous l’ai dit, on m’a amené le corps vers onze heures et demie. J’ai rempli les fiches préliminaires et je l’ai mis au frais en attendant le retour du Dr Fritz. Ensuite, je suis allée déjeuner. Et quand je suis revenue, il avait disparu avec son dossier !
Je crispai mes deux mains sur ma jupe, ravalant la boule qui s’était formée dans ma gorge.
Perdre un cadavre au bout de deux mois de travail.
Le Dr Fritz allait me mettre à la porte. Je pouvais déjà entendre ma mère exulter quand elle l’apprendrait.
L’agent Johnston eut soudain l’air gêné.
- Ça va, Dr Crane. Ne vous mettez pas dans cet état. Vous êtes sûre que personne n’a pu déplacer le cadavre, ou le cacher pour vous faire une farce ?
- Non, dis-je. Nous sommes dans un hôpital, ici. Les personnes autorisées à pénétrer dans la morgue sont toutes des professionnels et personne ne se risquerait à corrompre des preuves en déplaçant un cadavre. Sans compter que les autres employés ne me parlent même pas. Alors me faire une farce...
L’agent Flynn arrêta enfin de fouiller mes affaires et s’approcha. Il ébouriffa ses cheveux châtains, puis enfonça les mains dans ses poches. Son manteau découvrait une arme passée à sa ceinture et j’étais presque certaine que le renflement qui gonflait la jambe de son pantalon, juste au-dessus de sa chaussure, n’était pas naturel.
Je jetai un rapide coup d’œil au roux balafré. Est-ce que quelqu’un lui avait littéralement refait le portrait ? Dans une ville où on ne pouvait même plus laisser un cadavre une heure sans surveillance, ça ne me semblait pas si étonnant.
- La fille à l’accueil n’a vu personne descendre pendant l’heure du déjeuner, dit Flynn. Mais elle a passé une demi-heure au téléphone avec son petit ami alors il se peut qu’elle eut un moment d’absence.
Les trois hommes se regardèrent et Johnston hocha la tête, comme si cette situation avait un sens.
- Vous pourriez me décrire ce cadavre, Dr Crane... Alice. Je peux vous appeler Alice ? demanda-t-il.
J’acquiesçai de bonne grâce. Je n’étais toujours pas habituée à entendre des gens m’appeler "Dr Crane", comme si j’étais quelqu’un d’important.
J’étais seulement Alice Crane, l’assistante légiste que même les cadavres fuyaient.
- Blanc, cheveux blonds, dis-je. Environ trente-cinq ans. Pas très grand, probablement autour d’un mètre soixante-dix mais avec un développement musculaire important. C’était sans doute un adepte de musculation. Il était habillé légèrement pour la saison : un tee-shirt à manches courtes, pas de manteau. Il avait quatre anneaux à l’oreille gauche et un tatouage.
Je fis glisser mon index sur mon propre bras.
- Un corps de femme à l’encre bleue sur l’avant-bras droit.
L’agent Flynn eut l’air impressionné.
- Eh bien, ça fait un paquet de détails pour un corps que vous n’aviez pas encore autopsié, Alice.
- Je suis observatrice, dis-je. C’est pour cela que je suis médecin légiste.
L’homme sourit encore d’une façon que je ne parvins pas à analyser, découvrant une rangée de dents jaunies. Un fumeur, sans doute. Je plissai les yeux, le mettant au défi de me contredire. Ce policier m’était antipathique, malgré le peu de mots que nous avions échangés. En réalité, ces trois hommes me mettaient mal à l’aise. Ils ne ressemblaient en rien aux policiers en uniforme qui patrouillaient dans les rues à la nuit tombée ou qui contrôlaient la circulation aux heures de sortie d’école.
Je sentais une trop grande tension en eux. Une vigilance de chaque instant dissimulée derrière leur attitude décontractée, comme si quelque chose d’horrible allait surgir de l’un des tiroirs métalliques numérotés du réfrigérateur de la morgue. Je devinais des muscles tels que je n’en avais vu que sur des militaires ou des sportifs se dessiner sous leurs vêtements.
Toute cette histoire était si irréelle que j’avais l’impression que quelqu’un allait m’annoncer que tout ceci faisait partie d’une émission de caméra cachée d’un instant à l’autre.
J’aurais vraiment aimé que ce soit le cas.
- Quelque chose d’autre ? demanda Johnston. Comment était-il mort ?
Je réfléchis, respirant l’odeur d’alcool que j’en étais venue à associer au sous-sol de l’Hôpital Général. À la mort.
Je devais avouer que le cadavre m’avait intriguée quand il était arrivé à la morgue. Ce n’était pas seulement son look de marin de troisième zone. Non, c’était plutôt l’étonnante apparence de vie qu’il possédait toujours malgré sa chair glaciale et un électrocardiogramme indubitablement plat.
- Je ne peux pas déterminer les causes de la mort sans autopsie, dis-je finalement. Il aurait fallu faire des analyses... Il n’avait aucune blessure apparente, seulement une trace de piqûre à la base du cou.
J’indiquai l’endroit approximatif sur mon propre cou.
- Une piqûre ? Comme une piqûre de moustique ? demanda Johnston.
Je secouai la tête.
- Plutôt comme une seringue.
- Alors, vous pensez qu’on lui a fait la peau ? demanda le roux balafré.
- Je ne sais pas, dis-je. Il est possible qu’on lui ait injecté quelque chose qui a provoqué le décès, mais je n’ai plus aucun moyen de le déterminer aujourd’hui.
Une idée me frappa soudain.
- Attendez, vous pensez que cet homme a pu être assassiné ? Que l’assassin aurait pu venir voler le cadavre pour empêcher qu’on découvre quelque chose à l’autopsie ?
Je levai les yeux vers le plafond. J’avais peut-être eu la preuve d’un meurtre entre les mains et je l’avais laissée échapper.
- Oui, enfin, ce n’est qu’une hypothèse. Vous n’avez pas de caméra de sécurité, ici ? demanda Johnston.
- Pas dans la morgue, dis-je. Mais...
Je me levai brutalement. Quelle idiote je faisais !
- Il y en a une dans le hall d’entrée, dis-je. Et aussi une dans l’ascenseur. Peut-être ailleurs, je ne sais pas. Je ne pense pas que quelqu’un soit ressorti par l’entrée principale avec un cadavre sous le bras par là, mais il a bien dû rentrer.
- Il y a d’autres sorties ? demanda Johnston.
- Oui, une à l’arrière du bâtiment, vers les poubelles de l’hôpital, et une qui conduit au parking réservé au personnel.
- Il a pu les emprunter ?
- Pour sortir, oui, mais pas pour entrer : nous disposons d’un passe pour les déverrouiller. On ne peut pas laisser du matériel médical sans surveillance. À cause des junkies.
- Très efficace, marmonna le policier resté debout.
- Ça va Flynn, le réprimanda Johnston. Laisse tomber.
L’agent Flynn leva les mains devant lui en signe de reddition.
- Je vais vérifier la caméra, dit-il.
Johnston acquiesça, puis il se tourna vers moi. Je retins un soupir, m’apprêtant à répondre à un nouveau barrage de questions.
L’agent Flynn revint un quart d’heure plus tard : les caméras avaient toutes cessé de fonctionner. Rien n’avait été enregistré depuis midi. Je sentis mon cœur aller s’écraser quelque part entre mon pancréas et mon estomac. J’avais bien vu à la tête des policiers qu’il n’y avait aucune empreinte exploitable sur le réfrigérateur ou la porte de la morgue. Sans caméra de surveillance, mes derniers espoirs de voir le voleur identifié s’envolaient.
Avant de partir, l’agent Johnston me donna sa carte et me demanda de l’appeler s’il se passait quoi que ce soit d’autre. Puis lui et le roux balafré sortirent en me promettant de me tenir au courant des suites de l’enquête.
L’agent Flynn traîna derrière et regarda une dernière fois les dossiers entassés sur le bureau du Dr Fritz comme s’il espérait que celui du cadavre disparu allait réapparaître par magie. Il se redressa et passa la main dans ses cheveux, contemplant la morgue puis la salle d’autopsie à la manière d’un champion de puzzle qui s’apprête à rassembler les morceaux d’un tableau particulièrement compliqué. Je ne l’avais pas vraiment bien regardé avant. C’était l’agent Johnston qui avait tout de suite pris les rênes de l’interrogatoire et le roux balafré avait un physique trop saisissant pour que je fasse très attention à son collègue. Il était jeune. Une petite trentaine d’années, sans doute. Ni lui ni le balafré n’avaient précisé leur grade en arrivant, mais je doutais que la police ait dépêché trois inspecteurs pour une disparition de cadavre. De simples agents de police, sans doute.
Flynn me regarda. Je détournai les yeux, consciente que je le dévisageais.
Il s’éloigna enfin du bureau, prêt à partir. Puis il se retourna vers moi et m’adressa un dernier sourire compatissant.
- Désolé, dit-il d’un ton sincère qui me glaça jusqu’à la moelle.
Puis il tourna les talons et sortit sans plus de cérémonie.
Je regardai la porte battante se refermer derrière lui avec désespoir.
Je pensais que la police réglerait mes problèmes. Que les policiers se moqueraient gentiment de moi et qu’ils retrouveraient le corps. Jusqu’où pouvait-on aller en transportant le cadavre d’un homme adulte sans que personne ne vous remarque, dans cette ville ?
J’enfouis mon visage dans mes mains et laissai échapper un rire incrédule.
Il fallait que j’appelle le Dr Fritz.
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